Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/54

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chissant aux longues heures de son absence, je ne pus me préserver du soupçon qu’elles étaient consacrées à un tendre intérêt du cœur… Mon amour pour Marie me fut révélé par un sentiment jaloux.

Un jour, l’ayant vue s’éloigner à l’heure accoutumée, j’éprouvai je ne sais quelle agitation intérieure, que je pris pour la voix d’un sinistre pressentiment : où est l’homme fort qui, dans ses tourments d’amour, n’a jamais connu la faiblesse d’un mouvement superstitieux ? Je m’imaginai que la douleur secrète dont mon âme était saisie m’avertissait d’un malheur affreux et présent ; la tête pleine de fantômes et le cœur de passions, je m’élançai sur les traces de Marie ; mais déjà elle avait disparu… Je m’arrêtai pensif et troublé… j’eus honte alors du vil espionnage auquel je me livrais ; au lieu de poursuivre mes recherches dans la ville, j’entrai dans la première voie qui conduisait hors de ses murs, et marchai à grands pas, comme un méchant qui fuit le théâtre de son crime.

J’avais fait environ un mille sur une route bordée de chaque côté par une haute forêt, lorsque j’aperçus à ma droite un vaste édifice sur le fronton duquel étaient écrits ces mots : Alms-House[1]. Souvent, à Baltimore, j’avais entendu vanter cet établissement charitable ; je n’éprouvais en ce moment aucune curiosité de le connaître ; cependant je ne sais quel instinct secret m’attira dans cet asile de souffrances, comme si l’aspect des douleurs d’autrui était propre à soulager la mienne, J’entre… que vois-je ? ô ciel ! la fille de Nelson donnant des soins aux malheureux ! Eh quoi ! c’est ici que Marie… — Cette exclamation m’échappa comme un remords : car la cause de ces absences mystérieuses se révélait à mes yeux. Cependant la honte de mes odieux soupçons s’effaça dans le bonheur que me fit éprouver la certitude de leur injustice. À mon aspect, la vierge se colora d’une charmante rougeur. — Oui, s’écrièrent plusieurs voix faibles et plaintives, Marie Nelson est notre bon génie ; elle sait des secrets pour guérir toutes les plaies de l’âme ; son nom est béni parmi nous !

  1. Maison de charité.