Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/57

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comme c’est le cœur qui donne, c’est aussi le cœur qui reçoit. Au contraire, l’humanité des hommes leur vient presque toujours de la tête. Ce principe de la bienfaisance la rend pesante aux malheureux ; en effet, si la raison veut que le riche soit secourable au pauvre, elle enseigne aussi que l’obligé est au-dessous du bienfaiteur, comme le pauvre est au-dessous du riche. Il n’en est point ainsi selon les lois du cœur et de la religion, d’après lesquelles, le plus pauvre étant l’égal du plus opulent, la reconnaissance est la même entre celui qui dispense le bienfait, et l’indigent qui procure au riche le bonheur de le distribuer. L’homme protége par sa force ; la femme, avec sa faiblesse, console.

Cependant des cris lamentables frappent mon oreille. — C’est, me dit Marie, la voix des infortunés privés de leur raison.

Deux d’entre eux excitèrent d’abord mon attention et ma pitié ; ils étaient arrivés à la folie par des voies tout opposées.

Le premier, condamné pour homicide à la réclusion solitaire, était devenu fou dans sa cellule, et, de la prison pénitentiaire, était passé dans l’hospice. Sa folie avait quelque chose de cruel comme son crime ; il rêvait, durant la nuit, qu’un aigle planait sur sa tête, épiant l’instant de son sommeil pour lui dévorer le cœur ; le jour même, il était assailli de fantômes sanglants, et, quand je le vis, il adressait à ses geôliers un étrange reproche : Quelle barbarie ! s’écriait-il en me regardant, comme pour me demander justice ; j’avais pour compagnon dans ma cellule un papillon, et les cruels l’ont tué ! — Marie m’assura qu’il n’y avait rien de vrai dans ces paroles ; ainsi la destruction imaginaire d’un insecte était devenue le supplice de cet homme, meurtrier de son semblable !

L’autre était une jeune fille, parfaitement belle, dont une ferveur religieuse, poussée à l’excès, avait égaré la raison ; son front était empreint d’une candeur charmante ; dans ses beaux yeux noirs, qu’elle tenait incessamment levés vers le ciel, se montrait le sentiment d’une béatitude parfaite ; rien de terrestre n’attirait son attention ; rien ne troublait les délices de son extase : c’était vraiment un ange, car elle vivait déjà dans les cieux ; elle ne comprenait rien à ce monde : donc elle était folle.