Page:Beaunier - La Poésie nouvelle, 1902.djvu/200

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carrefours et les rues, la vie enfiévrée et maudite s’exalte en remous incessants, et les longues traînées de la foule, « comme des câbles, » s’enlacent, se nouent et se dénouent et glissent autour des monuments, mues on ne sait par quelle force cachée ni pour quelle manœuvre. Dans l’infini fourmillement des cohues et des émeutes, s’ébauche l’âme confuse, convulsée et formidable de la cité ; elle frémit… Ici, le port, ses vergues et ses mâts enchevêtrés : « toute la mer va vers la ville ; » les flots qui voyagent avec les vents,

pour que la ville en feu l’absorbe et le respire,
lui apportent le monde en des navires…


Ici la Bourse, le monument de l’Or, quadrangulaire, immense, où se bousculent toutes les frénésies, toutes les rapacités meurtrières, toutes les âpretés du vil désir ; acharnements sournois, délires, effrois hagards, tout cela rôde autour de la corbeille des mirages… Ici, le Bazar, épices, fards, drogues omnipotentes, diamants en toc, et le brocantage du soleil ! La foule se rue à ces trafics, la joie dans les yeux, la folie au cœur… Ici, les spectacles, bruit, clarté, fracas, splendeur fausse, pitres pailletés, danseuses roses, des jambes, des hanches, des gorges, tout cela que fouillent et que caressent curieusement les mille regards du peuple ensorcelé… Ici, l’étal, la hideuse chair d’amour pour les meutes de la luxure… Ici encore les cathédrales gigantesques, où se réfugient les lassitudes, les dégoûts et les paniques de la ville démente. Corps usés, cœurs flétris, voici les mousses et les marins, les pauvres diables, les boutiquiers méticuleux et les marguilliers pacifiques : ces âmes éperdues, ou viles, ou nulles sont prosternées devant les ostensoirs,