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Page:Beauregard - Le secret de l'orpheline, 1928.djvu/11

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LE SECRET DE L’ORPHELINE

— On n’est pas plus aimable, murmura la jeune fille. Émile aurait pu y mettre sa griffe et c’eut été parfait ! Mais je deviens méchante, se reprit-elle aussitôt. Que m’a-t-elle fait, cette pauvre Mme Verdon ? Rien que du bien et je suis fermement résolue à rester sous son aile tant… que je ne trouverai pas mieux ailleurs. À nous deux, maintenant, M. Gill.

L’enveloppe ouverte, quatre rectangles de papier apparurent, couleur d’acajou et bien luisants. Georgine jeta à chacun un coup d’œil et sa figure s’allongea. C’était elle, cette femme trop bien coiffée, au nez de rabin, le buste drapé de soie noire… Mais oui, c’était elle ; il n’y avait pas à s’y méprendre.

Elle rejette sur la table les quatre épreuves et ferme un moment les yeux. La glace, là-bas, lui montrait une jeune fille toute gracieuse, les yeux en fête et Gill, l’enveloppant d’un dernier regard que tempérait cette fois la discrétion de l’homme du monde, lui avait promis : — « Vous aurez un beau portrait. »

Mlle Favreau se lève alors et, comme chaque soir, elle procède à de menus rangements. Au moment de les terminer, elle se rapproche de la table et, s’emparant de la lettre de Mme Verdon, elle la relit posément. Puis, ce sont les épreuves qu’elle reprend.

Cette fois, l’impression est plus favorable. Chose certaine, elle tient là de petites images très artistiques. Au point de vue métier, Gill peut s’en faire gloire. D’ailleurs, le portrait qui la représente souriante est le meilleur de tous. Et, soudain, Georgine comprend ce qui lui manque, là-dessus : c’est son teint, sa fraîche carnation de brune pas trop brune, la grâce de ses lèvres vivantes. Pour le reste, c’est bien elle. Mon Dieu, comment en serait-il autrement. Elle pourra donc se consoler en songeant que la copie ne vaut pas l’original. La voilà tout à fait rassérénée. Avant de les remettre dans l’enveloppe, elle les feuillette une dernière fois, tous les quatre. Sa robe ne l’avantage en aucune façon. Le portrait étant coupé au buste, ces plis du drapé amplifient inutilement la poitrine au détriment des épaules et du cou. Et puis, une robe sombre, des cheveux sombres, des yeux et des sourcils sombres, c’est bien obscur. On se croirait en pleine nuit.

D’un doigt preste, la jeune fille glisse les papiers dans l’enveloppe qui a protégé leur voyage jusqu’à elle. Une flamme gamine naît dans ses yeux tandis que des fossettes se creusent, longues comme des fèves, sur ses joues. De sa voix de contralto, elle jette en riant, et c’est le mot de la fin :

— M. Gill, périsse votre réputation : vous m’avez fait une tête de veuve.


III


Au journal, lorsqu’elle daigne y reparaître, Mlle Favreau se vit accueillir comme l’Enfant prodigue de l’évangile. Elle n’en fut pas surprise. C’est justement le contraire qui l’eut étonnée. Si le journal eut possédé des étables et si, dans ces étables, quelque veau gras se fut trouvé, il y aurait gros à parier que M. Hannett eût pétitionné pour le faire tuer.

Comme Georgine répondait aux congratulations de son chef en s’informant de la date choisie pour ses propres vacances, il réplique :

— Pas de vacances pour moi, cette année, Miss Favreau. Nous sommes trop occupés. Il s’est passé de grandes choses durant votre absence.

Georgine eut envie de se détourner pour rire. Au lieu de cela, préférant se fixer tout de suite, elle demanda quelles étaient ces grandes choses ? Son chef lui apprit qu’on venait enfin de mettre à exécution un projet depuis longtemps dans l’air en fondant une « Page des Dames ». Déjà, pour la rédaction de l’indispensable Courrier, on avait retenu les services d’une vieille et docte dame, Mistress Munroe.

Debout, devant son employée assise, se balançant sur un pied, sur l’autre, et, par moment, se frottant les mains comme pour s’encourager. M. Hannett accumulait les détails. Georgine l’avait rarement vu aussi loquace. On fondait, assemblait-il, les meilleurs espoirs financiers sur cette Page des Dames. Comme promoteur, c’est lui qui en assumerait la haute direction même après l’arrivée de Mrs. Munroe.

Georgine ayant soudain rencontré l’éclair bleu de son regard fixé sur elle avec une sorte de complaisance attendrie, une inquiétude la prit. Elle fronça le sourcil. Est-ce que par hasard, son patron aurait l’idée de la transférer à la Page des Dames ? de l’adjoindre, par exemple, à Mrs Munroe ?… Il en était bien capable.