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LE SECRET DE L’ORPHELINE

là-dessous ? Il se reconnaissait trop peu d’imagination pour déchiffrer ce mystère à base de complication féminine ; impossible, il le voyait bien aussi, de fléchir sa secrétaire qui, déjà, lui avait donné maintes preuves de l’énergie de ses décisions. Or, rien de plus contrariant ne pouvait lui arriver et il le prouva toute la journée par une nervosité excessive.

À cinq heures, Georgine s’arrangea pour sortir en même temps que Charlotte. Les deux amies devisaient assez gaiement de chose et d’autres lorsque Georgine interrogea tout à coup :

— Vous n’avez pas d’amoureux n’est-ce pas, Charlotte ?

— Cette question !

— Dites donc, insista Melle Favreau. Je ne me rappelle plus où vous en êtes, de votre vie sentimentale.

— Eh bien, ma chérie, elle égale zéro. C’est le calme plat, dans mon cœur. La mer d’huile.

Georgine souriait.

— Alors, fit-elle, je ne vous dérangerais pas trop, jeudi, si je vous amenais M. Malliez ?

— Vous nous feriez un vrai plaisir, à ma mère et à moi. Mais dites donc à votre tour, Georgine…

Et la petite française riait.

— … Il ne vous en coûterait pas trop de me l’amener, comme cela ?… Seriez-vous à ce point immunisée contre la jalousie ?

— Il me déclarerait carrément qu’il vous préfère à moi que je n’en serais ni peinée ni surprise.

Charlotte immobilisa et ses prunelles grises dévisagèrent son amie.

— Épatantes ces Canadiennes ! s’écria-t-elle enfin. Est-ce froideur ? Est-ce générosité, détachement super-humain ? Mais en aucun temps, une française ne se résignerait à tenir un pareil langage, étant donnée la nature de vos relations avec M. Mailiez.

— Il y a relations et relations, fit au hasard Georgine.

— Est-ce que vous ne l’aimez plus ?

— Qui prétend que je l’aie jamais aimé ? J’admets que mon imagination a beaucoup travaillé en sa faveur ; mais que le cœur ait été pris, c’est une autre question. S’il vous agrée, Charlotte, et que vous lui plaisiez également, oubliez-moi tous les deux et suivez votre destinée. Surtout, n’allez pas vous amuser à me plaindre car ce serait de la compassion inutile : je vous en donne ma parole.

Charlotte s’empara des mains de sa compagne.

— Qu’avez-vous, Georgine ? demanda-t-elle. Il se passe quelque chose ?… Mais pourquoi si tôt désespérer ?

Georgine se dégagea avec impatience.

— Française ! s’écria-t-elle à son tour. Romanesque ! Plaise au ciel que nous restions encore longtemps un peuple sans littérature. Nous passerons pour inférieurs, mais la raison y gagnera d’autant !

— Ta ta ta ta… jeta vivement Charlotte. Vous voilà fâchée ? Alors, changeons de sujet, Georgine chérie. Mais, sous leur couche de glace, les Canadiennes sont donc de vrais volcans ? Or, moi, j’ai une peur affreuse des volcans. Mais là, affreuse !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Miss Favreau ! appela le rédacteur en second.

Georgine se retourna.

Nerveux, M. Hannett mordait ses lèvres qui formaient, dans son visage aux traits un peu ramassés, un si agréable dessin.

— Ne pourriez-vous, demanda-t-il, m’accorder quinze petites minutes ? Vous les reprendrez en congé, demain.

Georgine fronça les sourcils. Il n’était rien qui lui déplût comme ces retenues après l’heure. Mais, se rappelant au même instant, qu’elle n’en avait plus que pour trois jours à travailler au journal, elle voulut donner à sa réputation de se montrer gracieuse jusqu’à la fin.

Aussi revint-elle gentiment s’asseoir à son pupitre et là, droite sur son siège, elle attendait une dictée de son patron, quand celui-ci vint se poster en face d’elle.

Il croisa les bras et, souriant :

— Miss Favreau, demanda-t-il, en êtes-vous toujours à votre décision de nous quitter ?

— Sans doute, répliqua le plus naturellement du monde, Georgine.

— Bien, moi, je ne peux pas me résigner à vous perdre. Voilà deux ans que nous collaborons : vous imaginez bien qu’il m’est impossible d’accepter vos paroles de gaieté. D’autre part, j’ai entendu dire, enfin… Ne m’accusez pas d’indiscrétion, car c’est une simple bonne chance qui a voulu que je sache. Puisque vous êtes libre de vous-même, je vous fais une proposition loyale : consentiriez-vous à devenir ma femme ?

En cette minute de résolution, la froide Georgine, comme eût dit Charlotte, se croyait à la hauteur de n’importe quelle surpri-