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LE SECRET DE L’ORPHELINE

Non seulement l’écriture de Jacques s’étalait en suscription mais, comme pour prévenir tout doute, le jeune homme avait encore mis, avec son adresse, les initiales de son nom, au coin gauche de l’enveloppe.

D’une main fébrile, la gorge sèche, Georgine décacheta cette enveloppe et, déployant le feuillet qui y était contenu, elle lut :

— « Georgine, je dois prendre la grande décision de ma vie, elle est même aux trois quarts arrêtée. Ne me feriez-vous pas l’honneur de l’entendre ? J’ai toute confiance en votre sagesse. Vous savez que je ne compris rien à votre décision d’il y a quelques mois et qu’en prenant congé de vous, je jurai de rester votre ami, ce que vous acceptâtes. En m’indiquant où et quand je pourrai vous voir, pour cet ultime entretien, prouvez-moi, amie, que cette confiance que vous me témoigniez, vous me la conservez. »

Suivait la signature.

Dans l’âme de Georgine, un sentiment domine tous les autres : c’est une colère froide qui tend ses nerfs et pâlit sa face.

— On n’a pas idée… On n’a pas idée… halète-t-elle. Pousser jusque-là la suffisance… Il m’annonce qu’il prend la grande décision de sa vie et il voudrait voir, sur ma figure, l’effet que me produira cette révélation du nom de l’élue. Il n’est pas seulement fat, il est dégoûtant. À moins qu’il n’ait la niaiserie de croire que j’aurai du plaisir à apprendre qu’il s’agit de Charlotte. Triple sot. Je ne vaux donc pas mieux que lui, puisque je l’ai regretté…

D’un geste brusque, elle se débarrasse de son manteau qui la gêne, tire ses gants et, saisissant une plume, elle écrit sur le premier papier qui tombe sous sa main une demi-feuille tachée d’un minuscule pâté d’encre :

— « Monsieur, mon temps est malheureusement trop précieux pour que je le gaspille à donner des audiences. J’approuve, d’ailleurs, les yeux fermés votre projet qui ne peut être que le summum de la perfection.

Georgine Favreau ».

Après cela, elle s’agenouilla par habitude, pour une courte prière, puis elle se glissa dans son lit, sûre de ne pas dormir d’ici de longues heures parce que, de révolte, son cœur battait trop fort.


III


Dans l’air saisi, condensé et d’un calme impressionnant, des petites choses volètent avec une légèreté de rêve. Il est émouvant de voir comme elles semblent hésiter à atterrir ; après qu’elles ont descendu jusqu’au ras du sol, elles remontent, tournent sur elles-mêmes, se pâment on dirait et, enfin, en un vol plané, lent, lent, elles parviennent à l’asphalte glacé. Il en est, cependant, qui rencontrant l’obstacle sauveur s’y cramponnent.

Ainsi, Georgine en porte, sur ses vêtements, toute une constellation tandis que d’autres chatouillent son visage. Ô les mutins petits flocons ! Ce sont les premiers de la saison.

La jeune fille éprouve du regret à les laisser pour entrer dans l’église. C’est régulièrement que, désormais, elle vient réciter son chapelet à l’église. Cela donne un but à sa sortie du midi et, surtout, cette visite pieuse procure à son âme une grande paix.

Une grande paix… Mon Dieu, oui, quoique cette sorte d’apaisement s’édifie sur un désespoir affreux. Depuis sa lettre, Georgine n’aime plus Jacques. Elle n’en a plus le droit puisqu’il appartient à une autre. Indépendamment de cette considération, le fait d’avoir écrit cette sotte lettre a brutalement éteint, dans son cœur, la petite flamme qui y brûlait encore, douloureuse, mais si ardente !

Maintenant, c’est tout à fait fini. Jacques lui reviendrait, par impossible, il se jetterait à ses genoux et la supplierait de lui rendre son amour qu’elle ne pourrait pas le faire. On ne ressuscite pas ce qui est mort. La source de joie enchantée est tarie, en elle.

Heureuse est-elle encore de pouvoir vouer à d’autres tâches les forces de sa jeunesse. Son projet de se rapprocher de sa tante mûrit et s’accuse. Il est le grand ressort de son activité d’esprit. Qui sait si, bientôt, elle ne se sentira pas plus heureuse qu’il y a quelques mois, alors qu’elle se voyait partout adulée et encensée ?

Après avoir égrené son chapelet, avec l’impression que la grâce pleuvait sur elle, Georgine se signe, elle fait une génuflexion et elle se retire.

Dehors, considérablement grossis les jolis flocons accourent à sa rencontre ; sans