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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

que artiste à cette toile inconnue, voilée si vite au regard curieux de Mariette.

Pompeo lui avait semblé plongé, devant ce cadre, dans une rêverie extatique. Une mélancolie indéfinissable noyait encore son regard quand il lui dit :

— Ah ! c’est vous, enfant ; vous m’avez surpris, car je parlais à quelqu’un.

— À quelqu’un ? demanda Mariette ; mais vous causez donc avec un être invisible ?

— Visible pour moi seul, dit Pompeo. Si vous me promettez de ne pas me demander son nom, je vous le ferai voir, Mariette.

— Qui ? la dame de ce portrait ? car c’est une femme, j’en suis sûre ; sans cela, auriez-vous recouvert si vite la toile que voici de son rideau, votre front serait-il si pâle, votre parole si tremblante ? Moi qui me croyais dépositaire de tous vos secrets, vous m’en cachez un ; c’est mal ! Je gage que ce sera quelque comédienne de l’hôtel de Bourgogne, que messire Bellerose veut vous faire immortaliser. Laissez-moi l’admirer à mon aise, je vous en prie.

Mariette avait jeté ces paroles à Pompeo d’un air ironique, elle avait peine alors à se défendre elle-même d’un sentiment inquiet de jalousie. L’âge de Pompeo établissait entre la jeune fille et lui une véritable disproportion, et cependant Mariette l’aimait au point de souffrir, à la seule idée d’une femme rivale qui lui eût ravi le cœur de cet homme, qu’elle préférait aux plus riches et aux plus beaux d’entre les seigneurs. Elle se jeta, émue et palpitante, dans ses bras.

— Je serais, dit-elle, si malheureuse de vous perdre, moi qui ai déjà perdu Charles !

Pompeo la releva, tout en l’attirant doucement hors de la galerie où se trouvait le portrait voilé. Il la fit asseoir sur un riche sofa incrusté de nacre, et lui demanda ce qui l’amenait. Mariette tremblait, elle mit quelque temps à se rassurer, puis elle reprit :