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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

— Mariette, continua-t-il en déposant un chaste baiser sur le front de la jeune fille, je t’ai promis de te faire voir une femme dont tu ne peux connaître ni l’histoire ni le nom. Cette femme, je l’ai connue belle et jeune comme toi ; cette femme, je l’ai aimée… Maintenant, Mariette, si tu veux que je te présente à la fois le plus parfait miroir de la beauté et de la douleur humaines, regarde cette figure dont je soulève le voile. Cette femme était mère ; cette femme, un misérable l’a privée de son enfant ! Cet homme infâme, il faut que je le trouve, que je le provoque, qu’il meure ! Car, si tu le veux savoir, Mariette, c’est ma fille qu’il a tuée, ma fille, le seul bien qui m’eût rattaché à la vie ; ma fille que j’aimais, et dont tu ne peux toi-même à présent me tenir lieu ! Je le jure ici devant ce portrait, Mariette, je tuerai cet homme ! Il me rendra compte du sang versé, en quelque lieu qu’il se trouve. Mariette, Mariette ! peux-tu bien comprendre l’étendue de ma douleur ? Je sais le nom de cet homme, les lettres que tu m’as remises me l’ont appris. Et cependant, je suis là, immobile et foudroyé. Je regarde, ainsi que toi, ce portrait avec des pleurs dans les yeux ! Ah ! ce ne sont pas des pleurs, c’est du sang, c’est ma vengeance qu’il me faut ! Mariette, adieu ! lorsque je te reverrai, tu pourras te dire : Pompeo a puni celui que Dieu n’avait pas encore puni, il a écouté les voix de son cœur ! Insensé que je suis, je croyais à la mort naturelle de ma fille ; je ne soupçonnais ni la perfidie ni le crime. Mais il en est temps, mais cette nuit même les abords du Palais-Cardinal me sont frayés. Laisse-moi sortir, laisse-moi voler à la vengeance. Tu pâlis, enfant, tu considères cette beauté froide et sans voix ! Celle que j’aimais est morte aussi !… Va, laisse retomber sur cette image ce rideau comme un linceul… Encore une fois adieu, suis-moi du regard et ne trahis pas mon secret. Qu’as-tu donc ? tu trembles, tu te détournes et tu pleures ? Ton cœur déborde-t-i comme le mien, Mariette ? toi, pauvre orpheline, songerais-tu donc aussi à ta mère ?