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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

trouvant le bouchon de paille, il fit un léger mouvement d’épaule.

— Je ne m’étais pas encore vendu ici, cependant ! murmura-t-il avec une singulière expression.

Il jeta le bouchon de paille au feu, et commanda au passeux d’amener sa barque.

Cette fois, maître Gérard se sentit pris malgré lui d’une frayeur invincible. Il représenta de nouveau à l’étranger, en balbutiant, qu’il était tard, que la Seine était froide et peu propice à la promenade. Les sentinelles de l’Arsenal s’effrayeraient, on allait peut-être les interroger tous deux. En un mot, Gérard accumula tout ce qu’il put trouver de raisons ; mais l’inconnu insista.

Le passeux eut si peur qu’il offrit de rendre la bourse.

— Gardez-la, dit l’autre, nous n’irons pas loin, rassurez-vous.

— Mais où voulez-vous donc que je vous conduise ? reprit Gérard.

— Que vous importe ?

– Monseigneur, reprit Gérard, malgré vos habits, vous me faites l’effet d’un brave gentilhomme. Peut-être en ce moment les fumées du vin vous traquent la cervelle. Si c’est un pari que vous avez fait de l’autre côté de la Seine, soyez tranquille, je dirai que vous l’avez gagné, je vous jure.

– Voilà huit jours que mes lèvres n’ont touché une coupe, dit l’étranger ; voilà huit jours que j’aurais dû faire ce que je fais aujourd’hui.

— Monseigneur, vous ne voulez pas, n’est-il pas vrai, vous moquer ici d’un pauvre homme ? Je n’ai pas de famille, mon cher seigneur, quoique dans le temps on eût pu voir ici une pauvre petite créature jouer avec ses mains d’ange dans ce berceau qui est vide, hélas ! Mais je suis connu dans l’île Notre-Dame pour un digne homme, j’honore Dieu, le roi et M. le cardinal.

À ce dernier nom, l’inconnu fronça le sourcil, mais