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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

— Moi ? demanda Pompeo en proie à un vertige inconnu, moi, que tu n’as pas même effleuré du bout de ton glaive !

— Toi, que le poison dévore, reprit Samuel en tombant. Ne le sens-tu pas ?… oh ! oui, je le vois… il te dévore… il te ronge… Oh ! je m’y connais, tu vas mourir…

— Va, lâche, laisse-moi ! Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! cela est vrai… oui… ce mal étrange… ma vue s’obscurcit… ma voix s’éteint…

— Oui, tu vas mourir, continua Samuel, mourir ici avec moi, sans toutes les joies dont tu voulais t’emparer… sans ta fille, sans ta femme, que tu aimais… Oh ! je te le dis, tu vas mourir !

— Pitié, Samuel, pitié !

— De la pitié ! va, je n’ai que de la haine ! répondit le docteur en se traînant sur ses mains ; je m’étais promis de me venger, je l’ai fait.

— Oh ! mais il est encore temps ; oui, murmura Pompeo, en frappant ici…

Et se traînant vers la porte, l’Italien eut encore la force, au milieu des horribles douleurs qui l’étreignaient, de donner à Cesara le signal convenu.

— Que fais-tu ? dit Samuel. Espères-tu donc qu’on puisse t’entendre ? Si c’est le page Cesara, je l’ai gagné, Sache donc que le vin qu’il t’a versé tout à l’heure…

— Ah tu es le démon ! reprit Pompeo, mais le ciel…

— Le ciel… Pompeo… répondit Samuel en s’appuyant sur ses mains ensanglantées, le ciel est une froide plaisanterie… Vois s’il t’aiderait, tu meurs !

Oui, continua-t-il, te voilà marbré, livide… Ce poison est un de mes secrets. À moins d’un miracle, et Dieu n’en fait plus… ajouta le docteur, la bouche crispée. Voilà notre tombe, ou plutôt notre lit de noces à tous deux. Mais Teresina, ta fiancée, ne viendra pas !

— Teresina ! dit Pompeo, Teresina !

— Oui, appelle-la, demande-lui de venir ici te voir mourir ! Ton œil ne rencontre ici que le mien, ce sépulcre nous