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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

grâce ; il était vêtu comme eux, comme eux il parlait leur langue. C’était un de ces aventuriers qui vont partout offrir leur épée et leurs services, un de ces réfugiés fuyant la colère du roi à la suite des dernières révoltes de religion. — Je suis Français ! cria-t-il, arrêtez je connais le père de ce jeune homme, tuez-moi vite à sa place.

En parlant ainsi, il m’arracha par trois fois d’entre les mains de ces misérables corsaires, et trois fois ils me reprirent. Ne pouvant empêcher qu’on se rendît maître de moi et qu’on me liât à la bouche du canon, il voulut aussi s’y faire attacher, il se jeta sur mes chaînes et il les serra étroitement. S’adressant alors au canonnier du dey, spectateur de cette scène : « Tire, lui cria-t-il ; puisque je ne puis le sauver, je dois mourir avec lui ! » Le dey fut frappé de cette générosité, il me fit grâce. « Au revoir, me dit alors mon généreux libérateur, au revoir ; voici mon nom. » Et sur une lettre écrite de sa main, une lettre qu’il déchira, je pus lire le nom d’un homme connu de Montrevel et de Rochegude, les agitateurs calvinistes ; mais ce nom, désormais j’ai fait une croix sur lui, je l’ai enseveli au fond de mon cœur, il doit mourir avec moi.

En prononçant ces mots, le front de Henri paraissait morne et couvert d’une sueur froide… Paquette crut assister elle-même à cette scène, et elle ne le regardait qu’avec terreur, sans se rendre compte de l’ivresse qu’elle éprouvait de le voir sauvé.

— Et maintenant, ajouta Henri, maintenant que je vous ai dit ce qu’a fait cet homme pour moi, si vous le rencontrez, suivez-le partout s’il vous aime, aimez-le si le péril vous menace, il vous sauvera. Que ne donnerais-je pas pour le découvrir, pour l’avoir en ce moment auprès de moi ! À lui, à lui seul, j’oserais dire mes chagrins, il saurait qu’à peine de retour, mon père m’a fermé son sein, qu’il a repoussé mon amour et mes caresses. Il lui parlerait, et mon père se surprendrait vite à l’écouter ; sa froideur cesserait en écoutant ses seules paroles ; lui seul, mademoiselle, pour-