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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

beauté d’une jeune fille de votre âge chez l’une, à des cheveux aux boucles soyeuses ; chez cette autre, à sa taille ; chez une troisième, à des yeux noyés de langueur. À peine âgé de trente ans, maître d’une fortune considérable, j’avais souvent rêvé l’une de ces rencontres bénies de Dieu, où les mains s’unissent étroitement comme le cœur, où l’air qu’on aspire devient le parfum d’un autre, où l’on se parle bas avec foi, avec amour. Mes parents étaient morts et j’étais libre de mon choix. Il ne tarda pas à tomber sur une enfant.

C’était une jeune fille sur laquelle mes pensées se concentrèrent en un jour, une enfant aussi belle et aussi charmante que vous. Élevée avec soin par sa grand-tante, dont le mari était l’un de nos premiers magistrats, elle était bien vite détenue sérieuse, austère même, en raison de son enfance solitaire, passée jusqu’alors en Auvergne. Tous les mouvements naïfs et purs d’un cœur pareil au vôtre, ces élans pieux et vrais, cette sensibilité profonde et noble, étaient devenus les qualités de sa nature. Sa beauté rayonnait avec douceur, sa parole était suave. Mon père, un des premiers partisans de ce royaume, m’avait élevé avec rigueur ; je ne connaissais guère aucun des plaisirs des jeunes gens de mon âge. Je regardai Adrienne avec une véritable admiration.

Elle parut heureuse de sortir, grâce à moi, d’une vie de repos et d’indolence. Nous quittâmes l’Auvergne, le parc aux grandes futaies, les fossés remplis d’eau, le manoir aux flèches aiguës, tout cela pour Paris, duquel eussent dû pourtant me détourner tous les instincts de mon âme. En y revenant, je ne sais pourquoi je tremblai.

Trembler, direz-vous, devant ce regard doux et craintif d’une jeune femme qui s’ignore et à qui l’on va bientôt s’unir ! Trembler, quand le ciel même sourit à vos espérances Ah ! vous ignorez ce que sont les pressentiments ! Je n’avais jamais entendu jusque-là parler de mon père qu’avec une ivresse triomphante. Son souvenir seul était