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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

dans le temps de son exil à Amboise, Lauzun avait fort négligé cet exercice.

Cependant, il avait donné parole à M. d’Alluye, aussi le carrosse l’entraîna-t-il bientôt avec Barailles sur la route de Vincennes.

Si le mouvement perpétuel rencontre aujourd’hui même de nombreux contradicteurs, si la fidélité ne voit brûler à son autel qu’un maigre encens, si l’on ne croit plus aux Frontins dorés et titrés, grâce au ciel on n’eût point douté de toutes ces choses-là en voyant Barailles.

Attaché depuis longtemps à Lauzun, le pauvre homme menait une vie de coureur acharné ; toujours en route de Paris à Versailles, de Choisy à Pignerol, durant sa prison ; de Paris à Amboise, durant l’exil, c’était lui qui s’était vu chargé de rendre compte des travaux de l’hôtel au maître absent ; il avait surveillé les réparations, dirigé l’important ouvrage de l’escalier dérobé, approprié les dégagements intérieurs aux goûts particuliers du comte, pratiqué des couloirs et fait peindre même dans la salle à manger deux vues de Pignerol, destinées à rappeler à Lauzun des souvenirs très philosophiques[1]. Il avait eu recours à l’érudition coquette de la Comtesse de Quintin pour meubler les chambres avec splendeur, madame de Quintin étant une manière de précieuse, galante, spirituelle et de grand goût. L’infortuné Barailles s’était tué à toutes ces courses, il se ruinait en déplacements, et ne se doutait guère que, pour faire une fin, il deviendrait sur la fin de ses jours maître d’hôtel de Monsieur, frère du roi.

D’abord Mademoiselle l’avait pris à son service, comme tous les autres gens de Lauzun, à la suite de sa disgrâce, mais son amour pour son maître l’avait emporté : dès qu’il l’avait su à Pignerol, il était venu s’y constituer prisonnier.

  1. Ces deux vues existaient encore jusque sous Louis XV, elles furent alors remplacées par deux panneaux longs, représentant l’un Sancho, l’autre don Quichotte. Ces deux peintures sont charmantes, et portent le cachet de la plus exquise fantaisie.