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SUPP. CHAP. X.

qu’il n’a pas fait, on lui dit : Voilà ce que tu viens de confesser, tu te contredis, tu mens, et tu es perdu.

» Quel méprisable artifice ! et quel est son effet ? L’accusé reste interdit ; les paroles de son juge tombent sur sa tête comme un foudre imprévu ; il est étonné de se voir trahi par lui-même ; il perd la mémoire et la raison ; les faits se brouillent et se confondent ; et souvent une contradiction supposée le fait tomber dans une contradiction réelle.

» Cet art est odieux autant qu’injuste ; n’en souillons point nos honorables fonctions ; n’ayons d’autre art que la simplicité ; allons au vrai par le vrai ; suivons un accusé dans tous les faits, mais pas à pas et sans le presser ; observons sa marche, mais sans l’égarer ; et s’il tombe, que ce soit sous l’effort de la vérité, et non pas sous nos piéges.

» Ici un spectacle effrayant se présente tout à coup à mes yeux ; le juge se lasse d’interroger par la parole, il veut interroger par les supplices ; impatient dans ses recherches, et peut-être irrité de leur inutilité, on apporte des torches, des chaînes, des leviers, et tous ces instrument inventés pour la douleur. Un bourreau vient se mêler aux fonctions de la magistrature, et termine, par la violence, un interrogatoire commencé par la liberté… Et nous reprochons aux anciens leurs cirques et leurs gladiateurs !… » (Servan, Discours sur l’administration de la justice criminelle.)