Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
104
GRANDGOUJON

— Qu’as-tu fait de la journée, ma blonde ?

La blonde sortit de son sac une houpette.

— J’ai été me faire tirer les cartes…

— Oh ! sublime ! s’exclama Moquerard. Alors ? Aurons-nous un enfant à deux têtes, fruit de nos amours coupables ? Est-il exact que la tzarine a expédié à Guillaume un télégramme chiffré, qui, traduit par les soins de l’Ambassade d’Espagne, se résume en trois mots : « Crotte aux alliés. » Vraiment la Victoire est-elle pour le 14 Juillet midi ? Enfin, parle, mamour ! Parle, ô toi qui m’enchantes ! Dis donc, oui ou non, est-ce que tu vas causer ?

Nini, se poudrant le nez, avait des soubresauts de plaisir, et Quinze-Grammes répétait à Grandgoujon : « Hein ? Qué numéro ! »

— Ah ! s’écria Grandgoujon, il est formidable !

— Messieurs, fit Moquerard, susurrant, je suis touché… Nini, vous sentez la rose : qui vous parfume ainsi, cœur de mon âme ?

— C’est toi, dit Nini. Il m’a donné vingt francs hier pour me payer un Musset.

— Je ne me rappelle pas, dit Moquerard. Je suis un type dans le genre de Saint Vincent de Paul : je donne et j’oublie. Alors, Musset ?

— J’ai acheté un vaporisateur…

— Soyez poète ! soupira Moquerard. Dieu soit loué : je ne suis que prosateur !

— Mais vous l’êtes bien ! affirma Grandgoujon, heureux maintenant.

Il avait bu son vermouth-cassis et il trouvait un agrément singulier à écouter ce personnage.