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GRANDGOUJON

— La pauvre femme a été emportée par la guerre, avant d’avoir la joie de s’occuper de ce petit garçon…

Il soupira, puis dit au petit :

— Comment t’appelles-tu, bonhomme ? Es-tu content de venir chez moi ?

Le petit faisait des yeux ronds sans répondre.

— Qu’est-ce que tu portes dans ton panier ?

— Dame, dit le soldat, c’est un cochon d’Inde, dont y a pas moyen de le séparer, vous savez. Alors, j’y ai dit comme ça : « Tu l’offriras à ce monsieur. »

— Parbleu ! dit Grandgoujon d’une bonne voix. Et on le soignera : tu tombes chez le père aux bêtes. J’ai déjà tout un pensionnat. Et vous, Monsieur, d’où venez-vous ? C’est dur où vous êtes ?

— Dame, dit le soldat, pas rigolard !

— Je sais, dit Grandgoujon, j’arrive du front de la Somme. J’ai failli y laisser ma peau !

— Dame, reprit l’homme, c’est quasiment une chance quand on la laisse pas… mais l’plus terrible, tenez, c’est celui qu’aura tout fait, pis qui crèvera le dernier !

— J’y pense souvent, reprit Grandgoujon… Alors, ce petit… il vient de Châlons ?

— À ce qu’il paraît, dit le soldat, que sa mère et lui étaient avec les Boches ; ils sont été ramenés. C’est qu’il est sauvage le p’tit gars ; il parle qu’quand ça y chante.

L’enfant regardait ce gros homme dans son bain, et, médusé, restait muet.