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GRANDGOUJON

De plus belle tout le monde riait.

— Si on avait su m’employer…

— Employez-vous à boire, fit doucement Madame des Sablons.

— Je vous jure, Madame, que je me serais fait crever pour le pays ! dit avec force Grandgoujon, qui avait de la sueur aux tempes.

— Comme moi ! Moi aussi ! Oh ! et moi ! fit Moquerard simulant le délire. Mais buvons ! Je veux boire ! Moi je bois !

— Seulement j’ai quarante ans… continua Grandgoujon en sourdine.

— Entends-tu, ma blonde ? dit Moquerard à Mademoiselle Dieulafet, de l’Odéon, il dit son âge ! Nous ne le savions pas… Tu vas être obligée de nous livrer le tien.

— Et à quarante ans, dit Grandgoujon, on a vu pas mal de choses finir en eau de boudin…

— En sorte, dit Moquerard, qu’il ne faut pas lui bourrer le crâne ?

— Je te laisse le dire ! reprit Grandgoujon. Je sais, quand je lis les journaux, que pour avoir la vérité il faut en enlever la moitié, puis prendre le quart de ce qui reste : je suis averti. Ce que je dis, c’est que moi qui n’étais ni usinier ni stratège, je pouvais tout de même être moralement une force et, qu’avec moi, on n’a pas su profiter d’une énergie nationale !

— Oh ! Conclusion sublime et transportante ! dit Moquerard, qui, dans ses transports, faillit se laisser choir sous la table.

— Heureusement, reprit Grandgoujon, voici