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HISTOIRE D’UNE JEUNE CRÉOLE.

à ce brave capitaine dont les bontés, passablement bourrues, l’avaient attachée en si peu de temps. Quand elle vit la mer grise se briser, sous un ciel de la même teinte livide, contre les quais noirs et rébarbatifs comme des remparts, elle se figura vaguement qu’aborder serait faire naufrage, et qu’elle allait être une pauvre petite épave jetée sur des écueils où elle ne pourrait vivre. Son cœur se serra presque autant en apercevant les côtes de France que lorsqu’elle avait vu s’effacer celles de la Martinique.

On aborda sous une pluie fine, à l’heure triste qui n’est plus le jour et qui n’est pas encore la nuit. Quelques réverbères commençaient seulement à s’allumer çà et là, le pavé inégal était glissant, et l’humidité si pénétrante, qu’on se fût cru en décembre plutôt qu’aux premiers jours d’octobre. Comment décrire les impressions de la pauvre Yette, habituée à la pureté presque inaltérable de son ciel bleu ? Elle avait bien entendu parler de l’hiver, mais l’hiver chez elle était doux comme notre été. Toute transie, elle se serrait contre la da en demandant s’il faisait toujours aussi froid. Le capitaine n’oublia pas sa petite protégée, même au milieu des soins d’un débarquement, et ce fut fort heureux, car, sans lui, personne n’eût pensé