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JOURNAL DE CORA.

Les paroissiens nègres, là-dessus, se moquèrent tant et tant, que leur pasteur, jeune homme très gai à cette époque, résolut de se venger par une inoffensive plaisanterie. Il possédait une tonnelle à laquelle avait grimpé un pied de concombres ; vite il en fait disparaître les fruits, puis le dimanche venu, suspend à leur place quelques petits saucissons de Marseille. Au sortir de la messe, il invite à déjeuner ceux de ses paroissiens qui s’étaient le plus amusés à ses dépens, et envoie devant eux son domestique cueillir deux saucissons dans l’arbre. Aussitôt les nègres de conclure que le saucissonnier est un arbre de France qui a fort bien réussi au Gros-Morne. Ils trouvent le fruit excellent et ont soin de serrer précieusement les grains de poivre qu’il renferme, les prenant pour les graines mêmes de la plante merveilleuse. Le curé riait sous cape à son tour. Rentrés chez eux, les nègres sèment soigneusement leurs graines et répandent l’histoire. C’est à qui viendra déjeuner désormais chez M. le curé ; cependant, l’un d’eux, plus rusé que les autres, finit par se renseigner auprès d’un savant de la ville, et, retournant au presbytère certain dimanche, prend hardiment un saucisson tout entier qu’il glisse dans sa poche.

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