Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/18

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Il nous faut noter, en outre, dans l’analyse du poème, un certain nombre d’épisodes ajoutés çà et là et provenant de cycles légendaire qui devaient être bien connus de l’auditoire habituel du scop. Tels sont la cantilène sur le roi Finn et sa fin tragique, chantée au banquet par le ménestrel de Hrothgar (Beowulf, v. 1068-1159), et qui rappelle le fragment du Combat de Finnsburg, dont il a été question plus haut, la saga sur Sigemund et le dragon (Beowulf, v. 871-900), le passage où Hrothgar fait allusion au tyran Heremod, son ancêtre (id., v. 1709-1722), et celui qui traite en quelques vers d’Eormanric, l’odieux despote des Ostrogoths, et du vol, par Hama, du célèbre collier des Brisings ayant appartenu à la déesse Freya (id., v. 1197-1201). Relevons encore le contraste établi entre la douce Hygd, épouse de Hygelac, et l’orgueilleuse Thrytho que put seul dompter son mari Offa Ier, roi des Angles continentaux (id., v. 1931-1962), et les indications un peu vagues fournies sur la lutte entre les Géates et les Suédois, ainsi que sur le raid avorté de Hygelac contre les Frisons (id., v. 2354-2390 et v. 2922-2998). Ces différents morceaux, qui forment à proprement parler des hors-d’œuvre dans l’ensemble, sont autant de fenêtres, en quelque sorte, par lesquelles le regard plonge dans la masse confuse des mythes germaniques et qui relient le Beowulf aux essais d’épopée nés vers la même époque ou plus tard en Angleterre et en Allemagne. Mais étroitement unis au développement d’une action continue et à la peinture d’un caractère de chef unique et idéal, ces épisodes ajoutent de la variété à la narration héroïque.

L’ouvrage ainsi constitué d’éléments divers, mais fondus en un seul tout, comment s’est-il présenté aux contemporains de l’adaptateur définitif ? Ici les avis diffèrent suivant le point de vue des critiques. Pour les uns, le Beowulf ne serait que la continuation ou l’amplification de fragments poétiques que des bardes errants colportaient d’une cour anglo-saxonne à une autre, et qu’ils déclamaient en s’accompagnant d’une mélopée fort simple où la note musicale venait à point nommé renforcer le sens du vers et rehausser l’impression tragique. Pour les autres, il s’agit vraiment non d’un air plus ou moins modulé par les sons d’une harpe grossière, mais d’un poème de longue haleine dû à un auteur déjà cultivé. Il l’aura confié à l’écriture dans le scriptorium de quelque monastère pour édifier et délecter des auditoires variés auxquels un interprète instruit était chargé de le réciter. Le Beowulf lui-même, dit-on, confirme la première de ces deux hypothèses, puisqu’il nous laisse voir le scop moitié musicien, moitié conteur, qui charme une assemblée de guerriers en chantant des légendes du temps passé. Mais il convient de remarquer que les chants ainsi répétés sont invariablement fort courts et correspondent plutôt aux vieilles cantilènes d’inspiration lyrique et passionnée. L’épopée qui les reproduit n’a plus ce caractère. Par son ampleur même — plus de trois mille vers — elle se prête mal à la déclamation rythmée, tandis