Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/35

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et vraisemblablement à la première moitié du 8e siècle de notre ère. La langue du poème confirme les données précédentes, s’il est permis de supposer que certains caractères de l’œuvre anglienne primitive se sont conservés dans la transcription en dialecte saxon occidental. Et l’on est en droit de l’admettre quand on constate à quel point la grammaire du Beowulf et son vocabulaire sont demeurés archaïques. Ici, en effet, comme dans le Widsith, qui remonte plus haut encore par la date, certaines particularités grammaticales frappent aussitôt le lecteur. Dans tous les deux, l’article se confond avec le pronom démonstratif dont il dérive et ne paraît guère avoir une existence distincte. Le duel des pronoms personnels reste d’un usage assez fréquent, alors que par la suite il est uniformément écarté en faveur du pluriel, et la déclinaison faible de l’adjectif n’exige pas que celui-ci soit accompagné de l’article défini, comme ce sera le cas dans les pièces de vers ultérieures. En ce qui concerne le verbe, les temps se ramènent surtout à deux formes : le présent et le passé simple. L'auxiliaire avoir commence seulement à donner naissance à des temps composés, le passif construit avec wedrthan ou beon est rare et les auxiliaires du futur ajoutent encore un sens spécial à la phrase. Le vocabulaire également revêt un aspect d’antan, abstraction faite d’ailleurs des emprunts étrangers possibles. L’on observe, par exemple, que bon nombre de termes n’ont pas l’acception figurée qui s’y attachera plus tard. C’est ainsi que dreorig, prototype du dreary moderne, signifie toujours « ensanglanté » (Beowulf, v. 1417, 2789 et cf. v. 935, 1780 et 2720), alors qu’avec le temps et dans les œuvres postérieures il prend la nuance métaphorique de « fâcheux » et « attristé » (p. ex. : The Wanderer, v. 17, dreorigne [hygan], et dreorige on mode dans un sermon d’Aelfric). Et il est curieux de noter que le mot sawol (aujourd’hui soul), où l’idée d’« Âme » perce déjà (voyez Beowulf, v. 184, 1742, 2820), conserve le plus souvent le sens primordial de « vie » (p. ex. : id., v. 801, 852, 2422, et cf. v. 1406, 3033 et surtout v. 2693). La grammaire et la langue témoignent ainsi de l’antiquité relative de la vieille épopée.

La même conclusion ressort d’une étude attentive de la versification du poème. L’unité métrique s’y ramène à un vers long que la césure partage en deux hemistiches reliés entre eux au moyen de l’allitération. Dans chaque hémistiche l’on trouve deux syllabes fortement accentuées dont une au moins allitère avec une syllabe semblable dans l’autre et c’est la première tonique forte du second hémistiche qui détermine l’allitération dans chaque cas particulier. Peuvent allitérer ensemble toutes les voyelles indifféremment et les consonnes identiques, en tenant compte du fait que sc, sp et st constituent des groupes à part dont les deux lettres doivent toujours se répéter. Quant à la disposition dans le mètre des accents forts en question, on peut la résumer comme suit, d’après les lois