Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/33

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rêve des commères. Elles le visitaient, ébahies de ce petit hercule potelé, et s’en allaient, pensives, sans avoir pu le dérider, d’ailleurs, car il était grave comme un juge. Il les regardait de ses yeux ronds, fixes et intravisionnaires, pareils à ceux des monstres de foires, rebelle aux caresses, inflexible aux risettes, inquiétant de mutisme.

— Cette pauvre Mme Legris, se disaient-elles, son mioche est privé de la parole ! Voilà ce que c’est ! ajoutaient-elles en barbelant d’un clin ce trait d’insidieuse malice.

Et de fait, on ne connaissait pas le son de voix du prodige.

Sourd ? nullement, et, bien au contraire, puisque au moindre bruit il tendait l’oreille, et même avec une avidité d’ouïe singulière. Ainsi ne s’endormait-il qu’au prix d’une chanson maternelle, et la cacophonie des pianos circonvoisins déchaînés le tenait-elle en pur état d’extase. C’était jusqu’à ce point que, dans ses soliloques au long des rues, l’is pater se demandait s’il n’avait pas, lui, modeste rond-de-cuir, donné un autre Mozart à la France. Quant au verbe, point, et la petite bouche en restait vide, quoique épanouie comme celle de sa mère et déjà enchâssée de quenottes. D’où provenait