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Scholl, Charles Monselet, Édouard Lockroy, Eugène Chavette, Alphonse Duchesne (Junius), Jules Vallès, Charles Bataille, Alfred Delvau, et c’était le régal hebdomadaire de la ville. Ferdinand Fabre et Léon Cladel ont publié là leurs plus beaux romans. On n’en fait plus, de journaux pareils, sous notre Troisième, bien informée, oui, mais un peu morne.

Bourdin était d’un accueil charmant. Il donnait l’impression d’un bibliothécaire érudit, paterne et distrait, que l’on dérange de sa sinécure pour lui demander un renseignement cunéiforme. Tel du moins m’apparut-il au premier contact. Il vint à moi, la bouche ouverte par un sourire, le bonnet incliné sur la tête, les mains dans les manches de sa robe de chambre et les lunettes glissantes sur le nez. À sa bienveillance je connus tout de suite que ce bourru de Villemessant m’avait graissé les gonds de la porte, touché sans doute de ma déception juvénile de barde bardant éconduit.

J’ai fait, au Figaro du jeudi, mes débuts de journaliste et mon apprentissage, — voire l’essai de ces pseudonymes innombrables, sous lesquels, depuis quarante-cinq années, à ce jour, j’ai couru la lice meurtrière. Les Lettres de Jean Rouge que Bourdin m’y publia, moitié vers et moitié prose, étaient les exercices assez acrobatiques d’un genre, aujourd’hui tombé en désuétude, dont les Lettres de La Fontaine, le Voyage de Chapelle et Bachaumont, et l’Émilie, de Demoustiers, demeurent les modèles classiques. Si les vers de Voltaire étaient meilleurs, il en serait le maître.

Je me hâte de dire que les miens n’étaient pas faits pour survivre à l’indulgence du bon Bourdin.