Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/180

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français. — Qui, Vasari ?… — Et je n’insistai pas. C’était bien saint François de Sales qui me l’envoyait de la droite exquise de Dieu.

Je me mis pourtant en règle avec ma conscience. — Cher monsieur, fis-je, comme ce personnage du conte d’Adalbert de Chamisso qui a vendu son âme au diable, vous voyez en moi le critique qui n’a pas de critère ! J’aime tous les arts et j’en touche, mais je les aime pour en jouir et non pour en dégoûter les autres. La férule mac-mahonienne que je tiens à l’Officiel, grâce à une galéjade de l’auteur de Tartarin, ne me sert qu’à enfiler des adjectifs au tableau du verbe sur les chevaux de bois de la pensée. Mon érudition esthétique est à fleur de livre et ne s’étaie d’aucun voyage en Italie, fût-il circulaire et à prix réduit. Sans critère, vous dis-je, sans critère ! Mais j’allais arrêter des diligences et je donne la préférence au jeu de clarinette que vous m’offrez sur le pont de l’Institut.

— Seriez-vous père ? interrogea Ludovic Baschet dont les yeux s’allumèrent du feu de la complicité.

— Oui, citoyen éditeur.

— Alors je vous tiens. Voyez.

Et poussant la porte de son cabinet, il me montra une tablée de douze couverts où l’attendaient déjà les membres affamés de sa famille biblique. Père, mère, beau-père, belle-mère, femme, sœurs, frères et enfants, tous avaient la mâchoire généalogique où Lavater signale la force volitive poussée jusqu’à l’acharnement. Les bottes et bottines de sept lieues étaient cachées par la nappe blanche. Au centre de la table un tas énorme de pommes de terre colossales, entrouvrant leurs robes de chambre grises, s’équili-