Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/239

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jours hors du temps et des choses, et qui, par chance, n’avait pas, ce jour-là, oublié l’heure du déjeuner. Ce que fut ce déjeuner, et l’hymne du Beau qu’y chantèrent ces hommes d’élite, il faudrait un Platon pour l’écrire. Mais Félicien Rops y tint, comme on dit, le crachoir. Il flambait de verve, et il me fut donné d’ouïr, en présence de l’un de ses grands prêtres, la plus belle déclaration d’amour que jamais âme d’artiste ait faite à la nature. De pareilles journées sont à la fois trop longues et trop courtes, et nous n’aurions su comment terminer la nôtre si Auguste Rodin n’avait eu l’idée de nous emmener à son atelier. Nous l’y suivîmes, et, ayant renvoyé ses praticiens et ses modèles, il nous découvrit pour la première fois l’immense maquette de sa Porte de l’Enfer, qu’à cette époque il ne dévoilait guère. Je me rappelle que, à cette apparition, une émotion profonde empoigna les visiteurs et qu’un grand silence régna. Puis Rops se détourna et, le front posé sur la muraille, lui, le railleur féroce et le critique sans pitié, il essuya deux larmes. Son idéal du Beau était là, sous ses yeux, réalisé sur terre, en France.