Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/239

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l’autre un énorme bouchon de liège à bonder les futailles.

Les huit autres exhibent simplement de ces stylets affûtés en langues de trigonocéphales qui sont la gloire de l’armurerie corse.

On ficelle le maire sur son siège même, on le bâillonne devant l’urne, et on l’installe ainsi dans toute son autorité incontestée. Puis on fait entrer les naïfs porteurs de bulletins numérotés.

Les naïfs porteurs de bulletins numérotés n’ont pas plus tôt vu la tête congestionnée du maire et constaté sa ressemblance hurlante avec le Laocoon du célèbre Virgile, qu’ils comprennent tout de suite de quelle cime voisine souffle le vent de la liberté.

Sans hésiter, ils échangent leurs petits papiers contre d’autres petits papiers, de dimension égale et parfaitement semblables qu’on leur tend, et qui portent un nom opposé, mais équivalent, et, sous l’œil du maire embrasé, ils remplissent leurs devoirs civiques. L’urne avale.

Inutile de dire quel candidat l’emporta, cette année-là, dans le canton des Bellacoscia, et j’espère que cela vous est, ainsi qu’à moi, tout à fait indifférent, tant l’histoire est jolie par elle-même.

Quand je suis triste, je pense à ce maire et je m’ébats à l’idée du plaisir qu’il dut avoir, le soir, à être déficelé et à boire un coup.