Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/86

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prit bien portant, souriant à la danse macabre. Il ressemble à ces philosophes musards des vieilles lithographies, que l’on voit, les mains dans les poches, un brin d’herbe aux lèvres, regarder une partie de boules et décider d’une querelle. Il a la tête, les allures et l’attraction de ceux que l’on choisit pour juges, sans les connaître. C’est le dernier des modérés.

En cette partie de son œuvre qui lui est nettement personnelle, Gondinet est à Labiche comme Regnard est à Molière. Le rire de Labiche cingle et parfois laisse sa cicatrice. Gondinet se sert d’un fouet dont le manche est précieux, fragile et finement ciselé : il craint de le rompre en frappant trop fort, car ce manche est l’œuvre et le don d’une muse, la Fantaisie, une bonne amie de sa jeunesse, à laquelle il a fait bien des traits, mais qui reste son unique amour. Ce je ne sais quoi qui vient au surplus de la vérité et qui la colore d’un reflet d’idéal, Regnard en eut le secret. À des intervalles plus modestes, Gondinet reproduit cet avantage artistique sur son maître : on sent vibrer en lui le poète assassiné par Scribe.

Mais c’est un assassiné récalcitrant. Ce serait une erreur de croire que Gondinet accorde à ce Bouddha des cabots l’infaillibilité professionnelle devant laquelle s’agenouillent les gens dits de théâtre. S’il l’adore, c’est comme un mal nécessaire, et parce qu’il y a des caissiers sur la terre. « Il faut être un peu bête pour faire du théâtre. » Et pour y réussir ?… oh ! cachez-moi, profondes nuits !

Et voici l’autre Gondinet, car il y en a deux, je vous l’ai dit. Celui-ci se manifeste à Paris dans un