Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/188

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rales, qui « brochuraient » à tour de bras contre l’Empire et la décomposition sociale. Ils étaient positivistes et ne juraient que par Auguste Comte et Littré. Je finis par aller les rejoindre, un soir, après la représentation, et nous ébauchâmes ainsi des relations que leur destinée borna aux rapports artistiques. Regnard n’avait avec le grand comique de commun que le nom. Il était grave, enchaînant l’effet à la cause et la cause à l’effet, et s’ébattait peu sur les corollaires. Il fut directeur du Conservatoire sous la Commune. Quant à Raoul Rigault, c’était la blague même, l’enfant de Paris gouailleur et cynique, le titi faubourien, typifié par le Gavroche des Misérables, myope d’ailleurs comme une taupe. Son esprit était celui des légendes de Forain et, quand je les lis, je crois l’entendre. Héros énigmatique de la rigolade, il est mort en Romain, sur les marches du Panthéon, fusillé par les soldats de M. Thiers. Tels sont les contrastes de la vie.

Barbey d’Aurevilly assistait, bien entendu, à la première du troisième Hernani de l’École brutale. Il conte, dans son Théâtre contemporain, que la représentation de Père et Mari est restée unique dans sa mémoire par un sifflet sans fin, ininterrompu, strident, de la première scène à la dernière, et que n’apaisa même pas la chute du rideau. C’est parfaitement exact, mais ce sifflet venait d’un bec de gaz qui fuyait et me joua, en effet, de cette syrinx. Voilà comme on écrit l’histoire.

Un soir, un énorme tumulte nous tira tous, spectateurs, comédiens, directeur et auteur, dans la rue. On criait : « À Berlin ! » Une foule suivait un jeune homme. Ô Muses ! c’était notre cher Paul Déroulède !