Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/190

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trempa dans le crime politique dont on les accuse, car nulle guerre ne fut plus populaire.

Qu’ils le disent, ceux qui ont vu partir à la gare de l’Est les premières troupes lancées à la frontière, si jamais enthousiasme fut plus tumultuaire, s’exprima par plus de transports, déchaîna plus de pæans et de Marseillaises ! Paris ronflait comme un tambour immense.

On ne peut mieux se représenter l’état d’esprit universel des gens de Paris le 15 juillet 1870, jour de la déclaration de la guerre à la Chambre, qu’en écoutant ou lisant aujourd’hui encore, quarante ans après, l’inébranlable patriote qu’est resté Paul Déroulède. Il a gardé le ton de notre exaltation et son verbe en donne le « la » comme un diapason, que dis-je, comme un phonographe. Il sonne toujours, le poète tenace, l’« À Berlin ! » que nous clamions si follement dans les rues, et son grand nez en proue de navire renifle le vent d’Est qui nous soufflait du Rhin, comme à Gastibelza celui du mont Falou. Le 15 juillet 1870, nous étions tous des Déroulèdes, telle est la vérité.

J’étais sur la place de la Concorde, dans la foule formidable qui attendait le résultat de la séance du Palais-Bourbon et qui le battait de ses flots humains comme la mer déferle sur une estacade. Lorsque la nouvelle fut donnée par les journalistes du vote qui appelait la France aux armes, ce fut une explosion d’allégresse comparable à celle du peuple des 15 Août au bouquet du feu d’artifice. Les statues des Villes disparaissaient sous les grappes pendues des citoyens et citoyennes hurlants, gesticulants, frénétiques, pareils à ces spectateurs du cirque romain escaladant la tribune des Vestales pour réclamer l’achève-