Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/217

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tirait meilleur parti cent fois du cheval qu’Ésope de la langue, et le soir, quand, par le boulevard des Invalides, je m’en allais retrouver, aux Ternes, les deux bêtes du bon Dieu dont j’avais la garde, Bistu et Point-et-Virgule, je leur apportais encore des rogatons et des déchets qu’elle m’avait fourrés pour eux dans la poche.

À l’ambulance du Théâtre-Français, dans le salon vert, sous le Regnard de Largilière, autour des corbeilles à ouvrage des infirmières, on ne traitait que des choses de gueule : « Avec quoi avez-vous déjeuné aujourd’hui ? — Comment votre cuisinière accommode-t-elle le destrier ? — Nous apportez-vous quelque chose pour les blessés de Molière ? — Avez-vous du beurre ?… » Rien de plus drôle et de plus touchant à la fois que ces conversations de bonnes au marché entre Célimène, Phèdre et Sylvia. Dans un coin de la salle, le nez dans son tricot, Mlle Jouassain, l’esprit même, caquetait, potinait avec M. de Tillancourt, père conscrit, terrible en calembours, et par qui l’on avait des nouvelles sûres et de moins en moins consolantes.

Au bout de la table, devant la cheminée où son mari s’adossait, basques relevées, en cariatide de chenêts, Mme Victoria Lafontaine, petite bourgeoise à l’arithmétique infaillible, tenait les comptes journaliers de l’ambulance.

La bonne Madeleine présidait. De sa voix veloutée et prenante, elle menait le chœur et jetait le dé des causeries, quelquefois un peu trop bruyantes pour un hôpital, et que Mlle Favart, une tasse à la main, venait modérer entre les tentures.

Entre-temps, Mlle Édile Riquier apparaissait un