Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/239

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virent l’erreur bismarckienne et plusieurs écrivains s’en désolèrent à juste raison. C’est de cette faute plus grave qu’un crime, comme on dit dans l’art de Talleyrand, que l’homme de Varzin est mort. D’elle seule vient, qu’au bout de quarante ans, laps énorme en histoire, deux peuples de races fraternelles n’arrivent pas à se réconcilier. L’internationalisme même y défaille et le socialisme universel retire ses mains tendues au mot : Alsace-Lorraine, qui en toutes langues, se traduit par : iniquité.

Vous le voyez, mon chancelier, que la force ne prime pas toujours le droit. Il l’opprime, et voilà tout. De là vient que Paris, ville des villes, accueille tous les souverains des peuples contre lesquels la France a soutenu des guerres de sept, de trente, voire de cent ans, mais qu’elle ne reçoit pas et ne peut recevoir le chef de la nation qui, lourdement, a greffé sur un traité de paix, après six mois de conflit seulement, un fruit empoisonné de rancune éternelle.

Il n’y a plus à discuter la théorie qui base les unités ethniques sur la similitude des idiomes, sans tenir compte de la course historique parcourue par les mêmes servants d’une patrie ni les délimitations naturelles, orographiques, maritimes ou fluviales. Cette théorie est paradoxale et arbitraire. Elle distribue la terre d’après les données d’un principe à contresens des lois de migration qui mènent et promènent l’espèce au gré des bouleversements constants de la planète. Depuis son origine obscure, le genre humain est en état perpétuel de colonisation. La patrie est un campement, plus ou moins séculaire, mais un campement en somme, et l’on peut dire que l’intérêt seul, l’habitude et le sentiment nous y attachent.