Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/315

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il avait répondu par ce mot célèbre, mis en sonnet par Auguste Vacquerie :

— On bat maman, j’accours.

Il croyait, d’ailleurs, à la victoire, ayant foi à tout ce qui l’assurait alors à notre race et ne doutant pas que le neveu ne fît honneur à l’oncle dans un métier où la famille s’était taillé un manteau brodé d’abeilles. Il en avait chanté les Vieux de la Vieille, et pour le reste il en restait à Iéna. Ni la suite progressive des désastres, ni la marche des hordes sur la Ville, ni même son encerclement à bombardes, ne l’avaient désarmé d’une illusion, et, là, il était vraiment impassible. Le premier coup porté à son patriotisme de poète lui vint du conseil que ses amis lui donnèrent, et Turgan plus pressant que les autres, de mettre en sûreté sa galerie de tableaux, qui était d’ailleurs toute sa modeste fortune. Le jour où l’expert Haro vint, rue de Longchamp, avec une voiture de déménagement, emporter les chères toiles au milieu desquelles il vivait ses rêves et rêvait sa vie, il comprit que tout s’écroulait et qu’il resterait sous les décombres. Il alla rue de Beaune, en fataliste, derrière la tapissière, comme on suit un char funèbre, escorté de ses sœurs et portant dans ses bras Éponine.

Mais, en novembre, il ne put plus y tenir, et, sans écouter ce qu’on lui contait, ni ce qu’il lisait dans les feuilles, de la pluie d’obus qui rendait les voies impraticables, il voulut voir la maison abandonnée.

« Quand on pénètre dans un logis désert depuis longtemps, il semble toujours qu’on dérange quelqu’un. Des hôtes invisibles se sont installés là pendant votre absence et ils se retirent devant vous ; on croit voir flotter sur le seuil des portes qu’on ouvre