Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/399

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Il n’est pas jusqu’à Lamartine qui n’ait payé tribut à notre Melpomène. Paul Verlaine et Léon Dierx ont traversé la scène en chantant. Henri de Régnier s’en rapproche. Maurice Maeterlinck plane sur elle d’un vol shakespearien. Jean Moréas lui rapporta un Euripide. Vingt autres jeunes athlètes du stade, Miguel Zamacoïs, Louis Marsolleau, Hugues Delorme, déjà ceints de laurier, attendent leur tour de palestre, et la belle légion s’augmente à chaque aurore nouvelle. Le théâtre est à nous, vous dis-je, par héritage et conquête… et où est Bertrand et Raton… !

Mon maître ne s’est pas soustrait à cette tâche de sa destinée, pas plus qu’à aucune autre, du reste, et il a laissé son « Théâtre ». Il tient en un volume et comprend, outre six poèmes chorégraphiques d’ailleurs célèbres (Giselle, La Péri, Sacountala), et divers prologues, dont celui pour l’anniversaire de Pierre Corneille, qui est classique, trois comédies en vers, et un mystère.

Le mystère s’appelle Une Larme du Diable. Il est conçu sur le modèle des comédies dramatiques populaires et religieuses du moyen âge, à la façon de Pierre Gringoire, et il met en scène les personnages usuels de Satanas, du Bon Dieu, de la Vierge Marie, de Magdalena, puis, bien avant Chantecler, un chœur de lapins, un colimaçon, une rose, des papillons, et jusqu’à une armoire, un fauteuil et une carafe. Le silence même y parle :

« — Je n’ai pas de langue et suis muet de naissance, et pourtant tout le monde me comprend, et si l’auteur de cette triomphante comédie avait un peu plus recours à moi, il aurait conservé l’estime du Constitutionnel et de son portier. »