Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/415

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point à cause de son esthétique scénique, délibérément nulle, mais parce que ses habitudes de vie la rendaient impraticable. Levé en toutes saisons à quatre heures du matin, il n’était plus qu’à demi lucide après le déjeuner de midi, et, au dîner de sept heures, il s’endormait sur n’importe quel siège, et même debout, partout où il se trouvait. Je ne crois pas qu’au théâtre il ait jamais entendu une pièce, d’où cette impartialité amène qui caractérisa sa critique. Elle qualifiait aussi sa collaboration.

Dans nos conciliabules du soir sur le plan et l’ordre de marche de la nôtre, il y avait entre nous des scènes cent fois plus drôles que toutes celles que nous imaginions. Je n’ai pas besoin de vous dire que l’héroïne s’appelait Pétronille. Cette trouvaille revenait de droit à l’auteur de Laripète qui, comme dit Musset, portait déjà dans l’âme sa Notre-Dame. Mais il avait encore baptisé les autres personnages selon une théorie du rire qui lui était propre et attachait aux noms une fatalité sibylline. Le mari se signait Durand, le premier amant Durandot, le deuxième Durantin et ainsi de suite. Il y avait un parapluie surnommé Durandal, comme l’épée de Roland, et qui était destiné à donner le dénouement, si on le trouvait !

Et voici quels étaient entre neuf et onze heures du soir nos dialogues collaboratoires :

— Armand, tu pionces ?

— Ah ! par exemple, si l’on peut dire ! C’est à peine si je roupille. Mais je t’entends très bien, continue, va…

— Eh bien, tu te rappelles que Pétronille n’est plus là, n’est-ce pas ? Elle vient de sortir… Où est-elle allée ?