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blant du reste. Il était facile cependant de l’obtenir tel, car non seulement les portraits de la célèbre danseuse sont nombreux, mais au moment où Charles Garnier fit décorer son monument, elle vivait encore. Je la conduisis même un jour au foyer pour lui montrer ce médaillon, et c’est de ce jour-là qu’elle ne voulut plus remettre le pied, déesse calomniée, dans le temple de sa gloire. Qu’eût-elle donc dit si elle avait pu assister à un ballet donné dans ce temple même, où on la fait danser en 1830, soit à neuf ans, à Paris, et danser Gisèle, qui est de 1841 !

Carlotta Grisi devait en grande partie la science de son art à Jules Perrot, danseur et chorégraphe réputé, qui l’avait instruite avec amour et écrivit pour elle de nombreux ballets où il lui donnait la réplique de jambes. Perrot disputait au ténor Duprez l’honneur d’être l’homme le plus laid de France, mais c’était un autre Vestris, et, à dire de connaisseurs, un véritable maître. Il vint me voir quelque temps avant sa mort, en 1873, pour m’offrir l’aide de son expérience si je désirais m’adonner à la composition chorégraphique, le plus beau de tous les arts, celui de Terpsychore, et il parut fort vexé de la froideur avec laquelle je déclinai sa collaboration flatteuse.

Après son divorce avec Perrot, Carlotta Grisi subit, elle aussi, la fatalité « princière » qui s’attachait à sa race, et ce fut un membre de la haute aristocratie russe qui l’enleva à jamais au théâtre ; elle est morte à Genève, il y a une dizaine d’années.

Quant à Ernesta Grisi, elle fut la mère des deux filles de Théophile Gautier. Toute sa vie tient en ces quelques mots qui pourraient lui servir d’épitaphe anthologique.