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du père. Cette clause impliquait pour le jeune ménage une lutte avec « Langue de cô » où ne reculait pas notre courage.

À la vérité, ni l’une ni l’autre des deux filles de Théophile Gautier ne pouvaient guère pardonner à leurs tantes, Lili et Zoé, surtout à la dernière, la conduite qu’elles avaient menée contre leur mère dans le drame de famille où avait sombré le bonheur intime du poète. Je ne révèle rien à personne en disant que le mariage de Judith Gautier avec Catulle Mendès, en 1866, avait été la cause d’un dissentiment profond entre les parents de l’épousée. La mère, vaincue, avait cédé la place et s’était retirée d’un foyer où elle ne commandait plus. La pauvre excellente femme, il faut bien le dire, n’était pas trempée par la nature pour défendre une position, acquise par trente ans de dévouement, mais mal assise et qui, par la force des choses, était irrégularisable. Elle s’en était donc allée du côté des jeunes époux, et les tantes, accourues, de Montrouge où elles rongeaient leur frein de célibat, avaient repris, avec la queue de la poêle, une domination de lignée à laquelle le faible Théo ne s’était jamais entièrement soustrait. Dans les races méridionales, la hiérarchie de famille donne à la parenté de sang le pas de préséance sur la parenté conjugale et Mme Ernesta Grisi n’était même pas autorisée à se prévaloir de cette dernière.

Les cigares, aux dents du fumeur sans conviction qu’était Gautier, tournaient rapidement à la chique, malgré le secours, quelquefois phosphorescent, des suédoises, et ce fut sur une jonchée de bâtonnets amorphes et brisés qu’il poursuivit ses instructions.

— Tu déjeuneras donc demain avec Ernesta, et,