Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/47

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la promenade des Anglais le haut de forme orné d’une phalène grande comme une chauve-souris, et portant à la boutonnière la décoration véritablement étrangère, d’un lépidoptère flamboyant et pareil à la queue ocellée d’un paon. Ce fut fini. La race du « cant » n’aime l’originalité qu’en chambre. Et il ne traduisit plus, même : Goddam, en : Dieu me damne ! Son ardoise se couvrit de chiffres empilés chez Marie la Provençale.

Par une ironie amère, où je lui signalai la vengeance des mânes outragés de Shakespeare, le seul poste qu’on lui offrit était en Angleterre, mais il fallait parler l’idiome, et cela, il ne le pouvait pas. Il s’en alla droit devant lui, n’importe où, sans solder l’ardoise, et je ne le revis plus que pendant le siège de Paris, comme je vous le conterai au temps venu.

La chambre de sir Cecil Rhodes, devenue la mienne, n’était séparée de celle qu’occupait la fille mystérieuse des fjords, que par un couloir où les habitués de la table d’hôte suspendaient leurs chapeaux, et les portes se faisaient vis-à-vis. Je comptais donc sur les fortuités du voisinage pour voir un jour ou l’autre, ne fût-ce qu’à la dérobée, « la jeune et charmante étrangère » dont rêvaient mes vingt-deux ans, et, en attendant, je l’aimais. On aime pour aimer, à cet âge. Ma poitrinairerie m’y prédisposait du reste, et j’étais plein de rimes douloureuses que je ne demandais qu’à glisser sous les portes. Je commençai donc à en égrener, au dam de Buloz, quelques-unes sous la sienne, qui me furent aussitôt rendues par Marie, avec un haussement d’épaules significatif. Ce qui augmenta ma mélancolie automnale, ce fut de voir que la bonne Provençale en agissait de même, pres-