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encore la fleur de crocus sur les lèvres. Quant aux ingénieurs, ils tinrent à vider, sur mes mânes futurs, et le fonds et la réserve des calembours à réveiller un mort cueillis aux flûtes des échos alpestres.

Et le moment venu, ils m’entraînèrent…

Il y avait alors, sur l’un des bords du torrent du Careï, un cabaret orné de caves et planté de bosquets, où ceux qui n’aimaient pas à se coucher tôt trouvaient à prolonger la journée bien au delà du lever de Vénus dans le firmament étoilé. Il avait été fondé par un brave marin de la flotte française, dont j’ai perdu le nom, mais dont je puis certifier qu’il était ce que je dis : un brave marin de la flotte française. Combattant de l’expédition de Chine, en 1860, ce Jean Bart obscur était entré l’un des premiers, la hache aux dents, ou l’un des derniers, je l’ignore, dans le palais impérial, à Pékin, du malheureux Inshou, et ce qu’il en avait rapporté avait suffi pour lui permettre d’acheter un carré de terrain dans cette partie à peu près déserte de la commune, puis d’y bâtir un petit bastidon, ensuite de le meubler, et enfin d’y donner à boire, à manger, à loger à pied, à cheval, aux prix les plus raisonnables.

Or, l’hiver de 1867, la maison battait le plein de sa clientèle — clientèle double, dois-je le dire — où le sexe qui rend heureux était représenté par un choix de soubrettes anglaises, le reste du jour attachées au service de grands hôtels ou de familles distinguées. La société bourgeoise oublie trop que les femmes de chambre ont un cœur, et la base du commerce de Jean Bart était de les mettre à même de démontrer l’erreur cruelle des patrons. De là, de jolies fêtes dans le bastidon riche en caves et fertile en bosquets.