Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/116

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dîner, et de la discussion qui s’y éleva entre le numismate, M. de Roseraie, conservateur au cabinet des Médailles et un familier de la maison appelé M. Vatel, descendant, je crois, de l’illustre cuisinier du Roi Soleil. On le surnommait : l’amoureux de Charlotte Corday. Il flambait en effet d’une flamme posthume inextinguible pour « l’ange de l’assassinat ». Il lui avait voué sa vie, comme M. Cousin à feu Mme de Longueville. Il s’était fait un musée des pièces qui se rapportaient à l’héroïne, un reliquaire des objets qui l’avaient touchée, et, rien que pour l’avoir chantée en vers d’ailleurs déplorables, François Ponsard était à ses yeux le plus grand des poètes. Sur ce point au moins, Émile Augier partageait l’opinion du fétichiste. On sait que l’auteur de Gabrielle se réclamait encore de l’auteur de L’Honneur et l’Argent et qu’il ne revint que beaucoup plus tard sous la bannière de l’Empereur des Lettres françaises. Mais là s’arrêtait l’accord et pour le reste il se refusait au culte de la normande.

— Je l’ai déclaré à Ponsard lui-même, je ne vois rien de romain dans l’acte, en lui-même absurde et parfaitement lâche, de chouriner un homme malade dans une baignoire. Votre Charlotte Corday est un simple monstre et son bonnet enrubanné n’y change rien… — Oh ! Oh !… — Eh bien, Vatel ! disons : un monstre de province, et allons nous coucher, vous, avec elle, et moi, avec une autre, si vous le permettez.

En dépit d’un esprit abondant en saillies et qui n’épargnait les méchants ni les sots, Émile Augier était fort aimé et la mort seule décimait le groupe de