Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/119

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joueur, et depuis que Bade est fermé, il ne quitte plus le rocher monégasque. Portez-lui chance et embrassez-le pour moi.

Il va sans dire, homo sum, que je subis la démangeaison prédite. À cette époque on pouvait ponter sur le tapis de dame Roulette avec des jetons de quarante sous dont le banquier vous monnayait les pièces à cet usage, et muni de cinq de ces marques sexagones, j’avais en coquebin attaqué la Fortune. Elle se débanda d’abord les yeux pour sourire à mon innocence aux mains pleines, et j’eus bientôt de quoi me payer ce voyage à Gênes, qui était le rêve désordonné de ma misère lyrique. Mais de Gênes on veut aller à Florence, puis à Rome, et la déesse avait remis son bandeau. Les jetons sexagones rentraient au gîte et se défilaient comme moutons sous la pluie dans la bergerie. Ah ! comme j’en revenais de Rome, de Florence et de Gênes ! j’étais déjà à Vintimille, lorsqu’une voix courroucée me jeta dans le dos : — C’est bien fait aussi ! On n’est pas bête comme ça ! Une si belle série !

Et je vis, en me retournant, un petit homme gris qui trépignait d’indignation.

— Le coup du veau, clamait-il, le coup du veau, quand il n’y avait qu’à suivre ! Comment, c’est sur trois treize que vous faites le coup du veau ! Tout, tout, tout indiquait le coup du crocodile. Il était élémentaire, le coup du crocodile.

— Crocodile vous-même. De quoi vous mêlez-vous ?

— Quand on joue comme ça, on reste dans son village à garder les vaches.

— Monsieur !… Sortons… Voici ma carte.