Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/153

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feront du bien à La Vie Moderne, les bourgeois de ces lieux ayant foi en leur journal. Mais les libraires me semblent stupides. Aucun jusqu’à présent ne l’a en montre. Et beaucoup même n’ont point Le Château des Cœurs.

« Amitiés à Estelle et tout à vous, mon chéri.

« Votre G. Flaubert. »

Cette lettre de Gustave Flaubert, que j’ai retrouvée en paperassant, contient, pour ceux qui l’ont connu, tout l’homme. Il n’y en a pas de plus explicite dans cette « correspondance » dont on vient de publier le dernier volume et où s’atteste une agitation cérébrale allant, vers la fin de sa vie, jusqu’à la frénésie. En dépit des hommages tardifs que se plaisaient à lui rendre ceux qui sont devenus depuis lors les maîtres de notre littérature, le cher grand homme se croyait réellement ignoré de ses contemporains, et il est trop clair aujourd’hui qu’il souffrait de cette croyance. Y a-t-il rien de plus mélancolique que cette joie ironique devant l’ébahissement de la vieille bonne sourde, boiteuse et aveugle, apprenant chez l’épicier, lequel le tient du journal de la « localité », qu’elle sert depuis vingt ans, sans le savoir, un « grand auteur » ? Et que dites-vous encore de ce journal de province qui attend la publication du Château des Cœurs dans un journal parisien pour saluer la gloire d’un tel compatriote !

Mais telle est la loi, paraît-il. Il est écrit (par qui, ô Azaïs ?) que toujours il en sera ainsi pour les vrais grands artistes et que la mésintelligence est éternelle entre l’absurde public et le génie. C’est ce qu’il ap-