Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/224

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liement entre, j’allais dire : gens de premières, comme on l’imagine, et pour les mêmes raisons, entre les trois cents de Léonidas aux Thermopyles. Familiarité est sœur de solidarité et la différence d’âge s’efface dans l’ombre du défilé héroïque pour ceux qui le défendent contre les Perses.

Gustave Claudin était, je le répète, l’archétype de ces derviches tourneurs de pouce pour qui les deux trottoirs qui sont entre la rue Drouot et la place de l’Opéra localisent le plateau de la vie humaine. Être cul-de-jatte là, c’était son rêve. Le Père Éternel y avait résumé sa création et même réparé quelques bévues d’icelle, par exemple la montagne, la mer, la forêt, pour ne parler que de ces géologismes. Il ne saluait dans le cheval que le boulanger de crottin des moineaux francs de gouttières. En quel autre lieu voyait-on les fleurs naître « toutes coupées » dans les voitures à bras, et des bluets, sans blé autour, circuler sous la garde des sergents de ville ?

— Et l’air, mon Claudin, l’air reniflable, risquais-je avec rusticité ?

— Tu renifles ? Et les microbes ! Prends garde !

Il « ne cherchait pas d’ailleurs à me prouver » que l’air du boulevard, l’air à idées, était le seul respirable pour un nez bien organisé, le nez de poète. Le parfum du foin coupé se vendait en bouteilles chez les moindres distillateurs. On en concentrait la meule entière pour cinquante centimes. Quant au plaisir qu’il peut y avoir à marcher en sabots dans la boue, contre le vent qui dénoue les cravates, pour aller acheter un cornet de tabac chez l’épicier du village, il « ne s’en rendait pas compte et tout ce qu’il pouvait en dire » c’est que la campagne n’avait pas