Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/263

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jeu, l’antique raseur qui compose ses rôles ! As-tu fini ? Oui, j’ai fini. À vous, ceux d’Antoine et de la diction dans les bottes. Mais ne parlons pas de moi, voulez-vous ? Qu’ai-je été auprès de Frédérick, de Bocage et surtout de Monsieur Mélingue ?

Il disait : « Monsieur » Mélingue, comme s’il lui tirait son coup de chapeau, avec un respect attendri où chantait toute sa jeunesse. — Ah ! Monsieur Mélingue !

Celui-là, c’était l’artiste idéal et complet, le maître. Il l’égalait à Frédérick, au moins ; mais, pour les gens du métier, il l’emportait par la multiplicité des dons, science du pittoresque, sûreté infaillible des moyens, domination magnétique du public, que sais-je ? Il avait tout, Monsieur Mélingue, tout, tout !

— Si je vous disais qu’il n’a jamais raté un rôle, fût-ce le moins propre à son tempérament ? Il n’y en avait pas de mauvais pour lui. Comme il les campait dans l’ensemble et dans le détail ! Je me cachais dans l’ombre des répétitions pour le voir travailler, et j’en sortais malade d’admiration. Et beau, cher Monsieur, beau comme on ne l’est plus sur la terre ! Elles n’en font plus, les femmes d’à présent, de ces êtres extraordinaires que la Grèce, elle, divinisait !

— Vous le rappelez-vous, reprenait-il, avec son geste nerveux, saccadé même, mais toujours juste, sa diction profonde, à fond de texte, sa voix prenante, ses yeux impérieux, sa plastique prodigieuse, le rayonnement visible de son intelligence, la vie qui émanait de sa personne entière ? Comme il marchait, comme il mimait, quel parti il tirait des silences !

Ah ! Monsieur Mélingue ! Lui aussi, il entrait de dos et l’on n’a rien inventé au Théâtre Libre, mais