Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/151

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qu’il vient faire au monde ! Il était si bien au paradis.

Lorsque je rencontre Forain, aujourd’hui riche et illustre, et si justement, certes, je ne puis le désencadrer encore de ce taudis de la rue Chaptal où il m’apparut pour la première fois sous l’aile noire de la misère. C’est à ce tableau que j’en réfère pour expliquer à ceux qui y perdent leur latin psychologique comment ce rude flagellateur de la société contemporaine, devant qui rien ne trouve grâce et merci, peut être si tendre pour les petits, les faibles, les pauvres et les victimes de l’inégalité, hélas, éternelle. Cet attendrissement n’est pas, croyez-le bien, le résultat d’une philosophie méditée dont il est bien incapable, il est instinctif et vécu ; c’est un phénomène de mémoire : l’habit noir, flûte et claque, reste étalé sur le lit moutonnant où une jeune mère défend son poupon contre la mort, au coin d’un poêle qui s’éteint, dans une cité ouvrière.

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous fasse dans votre absurde Vie Moderne ? Vous allez battre la réclame pour l’Institut ! Vous trouverez des excuses à William Bouguereau. Un journal d’art, à quoi ça sert-il ? Ça ne dit rien, ça n’apprend rien à personne. C’est fait pour flagorner les gloires consacrées. Vous voulez donc faire fortune ? Tenez, parions qu’on vous a dit que je « tenais » la caricature !

Et comme je renâclais au pari, ne voulant pas le perdre, Forain reprit : — Vous voyez bien, on vous l’a dit, Daumier, Traviès, pourquoi pas Cham ? Eh ! je ne « tiens » pas la caricature. Je suis un peintre de réalités. Je copie. Et j’en suis à l’alphabet de mon art.