Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/121

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Toutefois, a posteriori, on invoque contre la liberté des faits précis, les uns physiques, les autres psychologiques. Tantôt on allègue que nos actions sont nécessitées par nos sentiments, nos idées, et toute la série antérieure de nos états de conscience ; tantôt on dénonce la liberté comme incompatible avec les propriétés fondamentales de la matière, et en particulier avec le principe de la conservation de la force. De là deux espèces de déterminisme, deux dé­monstrations empiriques, différentes en apparence, de la nécessité universelle. Nous allons montrer que la seconde de ces deux formes se ramène à la première, et que tout déterminisme, même physique, implique une hypothèse psychologique : nous établirons ensuite que le déterminisme psychologique lui-même, et les réfutations qu’on en donne, reposent sur une conception inexacte de la multiplicité des états de conscience et surtout de la durée. Ainsi, à la lumière des principes développés dans le chapitre précédent, nous verrons apparaître un moi dont l’activité ne saurait être comparée à celle d’aucune autre force.

Le déterminisme physique, sous sa forme la plus récente, est intimement lié aux théories mécaniques, ou plutôt cinétiques, de la matière. On se représente l’univers comme un amas de matière, que l’imagination résout en molécules et en atomes. Ces particules exécuteraient sans relâche des mouve­ments de toute nature, tantôt vibratoires, tantôt de translation ; et les phénomènes physiques, les actions chimiques, les qualités de la matière que nos sens perçoivent, chaleur, son, électricité, attraction même peut-être, se réduiraient objectivement à ces mouvements élémentaires. La matière qui entre dans la composition des corps organisés étant soumise aux mêmes lois, on ne trouverait pas autre chose dans le système nerveux, par exemple, que des molécules et atomes qui se meuvent, s’attirent et se repoussent les uns les autres.