Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

temps, sinon vider ou appauvrir les états de conscien­ce qui s’y succèdent ? Et la possibilité même de voir en raccourci une période astronomique n’implique-t-elle pas ainsi l’impossibilité de modifier de la même manière une série psychologique, puisque c’est seulement en prenant cette série psychologique comme base invariable qu’on pourra faire varier arbitrairement, quant à l’unité de durée, une période astronomique ?

Lors donc qu’on demande si une action future pourrait être prévue, on identifie inconsciemment le temps dont il est question dans les sciences exactes, et qui se réduit à un nombre, avec la durée réelle, dont l’apparente quantité est véritablement une qualité, et qu’on ne saurait raccourcir d’un instant sans modifier la nature des faits qui la remplissent. Et ce qui facilite sans doute cette identification, c’est que, dans une multitude de cas, nous avons le droit d’opérer sur la durée réelle comme sur le temps astronomique. Ainsi, quand nous nous remémorons le passé, c’est-à-dire une série de faits accomplis, nous l’abrégeons toujours, sans altérer cependant la nature de l’événement qui nous intéresse. C’est que nous le connaissons déjà ; c’est que, arrivé au terme du progrès qui constitue son existence même, le fait psycho­logique devient une chose, qu’on peut se représenter tout d’un coup. Nous nous trouvons donc ici dans la même position où se place l’astronome, quand il embrasse dans une seule aperception l’orbite qu’une planète mettra plusieurs années à parcourir. C’est bien, en effet, au souvenir d’un fait de conscience passé, non à la connaissance anticipée d’un fait de conscience à venir, qu’on doit assimiler la prévision astronomique. Mais, lorsqu’il s’agit de déterminer un fait de conscience à venir, pour peu qu’il soit profond, on doit envisager les antécédents non plus à l’état statique sous forme de choses, mais à l’état dynamique et comme des progrès, puisque leur influence seule est en cause : or leur durée est cette influence