Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/165

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puisqu’ils consti­tuent deux moments différents d’une histoire. Tandis que l’objet extérieur ne porte pas la marque du temps écoulé, et qu’ainsi, malgré la diversité des moments, le physicien pourra se retrouver en présence de conditions élémen­taires identiques, la durée est chose réelle pour la conscience qui en conserve la trace, et l’on ne saurait parler ici de conditions identiques, parce que le même moment ne se présente pas deux fois. En vain on alléguera que, s’il n’y a pas deux états profonds de l’âme qui se ressemblent, l’analyse démêlerait au sein de ces états différents des éléments stables, susceptibles de se comparer entre eux. Ce serait oublier que les éléments psychologiques, même les plus simples, ont leur personnalité et leur vie propre, pour peu qu’ils soient profonds ; ils deviennent sans cesse, et le même sentiment, par cela seul qu’il se répète, est un sentiment nouveau. Même, nous n’avons aucune raison de lui conserver son ancien nom, sauf qu’il correspond à la même cause extérieure ou se traduit au dehors par des signes analogues : on commettrait donc une véritable pétition de principe en déduisant de la prétendue similitude des deux états que la même cause produit le même effet. Bref, si la relation causale existe encore dans le monde des faits internes, elle ne peut ressembler en aucune manière à ce que nous appelons causalité dans la nature. Pour le phy­sicien, la même cause produit toujours le même effet ; pour un psycho­logue qui ne se laisse point égarer par d’apparentes analogies, une cause interne profonde donne son effet une fois, et ne le produira jamais plus. Et si, mainte­nant, on allègue que cet effet était indissolublement lié à cette cause, une pareille affirmation signifiera de deux choses l’une : ou bien que, les antécé­dents étant donnés, on eût pu prévoir l’action future ; ou que, l’action une fois accomplie, toute autre action apparaît, dans les conditions données, comme impossible. Or nous avons vu que ces deux affirmations é