Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/167

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ne manquera pas de se reproduire dès que les mêmes conditions seront données. Si le principe de causalité ne nous disait rien de plus, comme le prétendent les empiristes, on accorderait sans peine à ces philosophes que leur principe vient de l’expérience ; mais il ne prouverait plus rien contre notre liberté. Car il demeurerait entendu que des antécédents déterminés donnent lieu à un conséquent déterminé partout où l’expérience nous fait constater cette régularité ; mais la question est précisément de savoir si on la retrouve dans le domaine de la conscience, et tout le problème de la liberté est là. Nous vous accordons pour un instant que le principe de causalité résume seulement les successions uniformes et inconditionnelles observées dans le passé : de quel droit l’appliquez-vous alors à ces faits de conscience profonds où l’on n’a pas encore démêlé de successions régulières, puisqu’on échoue à les prévoir ? Et comment vous fonder sur ce principe pour établir le déterminisme des faits internes, alors que, selon vous, le déterminisme des faits observés est l’unique fondement de ce principe lui-même ? A vrai dire, quand les empiristes font valoir le principe de causalité contre la liberté hu­maine, ils prennent le mot cause dans une acception nouvelle, qui est d’ailleurs celle du sens commun.

Constater la succession régulière de deux phénomènes, en effet, c’est reconnaître que, le premier étant donné, on aperçoit déjà l’autre. Mais cette liaison toute subjective de deux représentations ne suffit pas au sens commun. Il lui semble que, si l’idée du second phénomène est déjà impliquée dans celle du premier, il faut que le second phénomène lui-même existe objectivement, sous une forme ou sous une autre, au sein du premier phénomène. Et le sens commun devait aboutir à cette conclusion, parce que la distinction précise d’une liaison objective entre les phénomènes et d’une association subjective entre leurs idées