Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/169

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les qualités apparentes de la matière par la forme, la position et le mouvement de ces figures géométriques. Or la position est donnée par un système de grandeurs fixes, et le mouvement s’exprime par une loi, c’est-à-dire par une relation constante entre des gran­deurs variables ; mais la forme est une image, et quelque ténue, quelque trans­parente qu’on la suppose, elle constitue encore, en tant que notre imagination en a la perception visuelle pour ainsi dire, une qualité concrète et par suite irréductible de la matière. Il faudra, par conséquent, faire table rase de cette image et lui substituer la formule abstraite du mouvement qui engendre la figure. Représentez-vous donc des relations algébriques s’enchevêtrant les unes dans les autres, s’objectivant par cet enchevêtrement même, et enfantant, par le seul effet de leur complexité, la réalité concrète, visible et tangible — vous ne ferez que tirer les conséquences du principe de causalité, entendu au sens d’une préformation actuelle de l’avenir au sein du présent. Il ne semble pas que les savants de notre temps aient poussé l’abstraction aussi loin, sauf peut-être sir William Thomson. Ce physicien ingénieux et profond suppose l’espace rempli d’un fluide homogène et incompressible où des tourbillons se meuvent, engendrant ainsi les propriétés de la matière : ces tourbillons sont les éléments constitutifs des corps ; l’atome devient ainsi un mouvement, et les phénomènes physiques se réduisent à des mouvements réguliers s’accom­plissant au sein d’un fluide incompressible. Or, si l’on veut bien remarquer que ce fluide est d’une parfaite homogénéité, qu’il n’existe entre ses parties ni un intervalle vide qui les sépare ni une différence quelconque qui permette de les distinguer, on verra que tout mouvement s’accomplissant au sein de ce fluide équivaut en fait à l’immobilité absolue, puisque avant, pendant et après le mouvement rien ne change, rien n’est changé dans l’ensemble. Le mouvement dont on parle ici n’est donc pas un mouvement