Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/177

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humaine comme à une conséquence naturelle. Malheureusement l’habitude s’est contractée de prendre le principe de causalité dans les deux sens à la fois, parce que l’un flatte davantage notre imagination, et que l’autre favorise le raisonnement mathématique. Tantôt on pense surtout à la succession régulière des phénomènes physiques et à cette espèce d’effort interne par lequel l’un devient l’autre ; tantôt on fixe son esprit sur la régularité absolue de ces phénomènes, et de l’idée de régularité on passe par degrés insensibles à celle de nécessité mathématique, qui exclut la durée entendue de la première manière. Et l’on ne voit pas d’inconvénient à tempérer ces deux images l’une par l’autre, et à faire prédominer l’une ou l’autre, selon qu’on se préoccupe plus ou moins des intérêts de la science. Mais appliquer le principe de causalité, sous cette forme équivoque, à la succession des faits de conscience, c’est se créer de gaieté de cœur, et sans raison plausible, d’inex­tricables difficultés. L’idée de force, qui exclut en réalité celle de déter­mination nécessaire, a contracté pour ainsi dire l’habitude de s’amalgamer à celle de nécessité, par suite même de l’usage qu’on fait du principe de causalité dans la nature. D’un côté, nous ne connaissons la force que par le témoignage de la conscience, et la conscience n’affirme pas, ne comprend même pas la détermination absolue des actes à venir : voilà donc tout ce que l’expérience nous apprend, et si nous nous en tenions à l’expérience, nous dirions que nous nous sentons libres, que nous percevons la force, à tort ou à raison, comme une libre spontanéité. Mais d’autre part, cette idée de force, transportée dans la nature, ayant cheminé côte à côte avec l’idée de nécessité, revient corrompue de ce voyage. Elle en revient imprégnée de l’idée de nécessité ; et à la lumière du rôle que nous lui avons fait jouer dans le monde extérieur, nous apercevons la force comme déterminant d’une manière nécessaire les